Harcèlement au travail et obligation de sécurité, un enjeu majeur pour les entreprises
En ce début d’année 2025, la Cour de cassation a rendu plusieurs décisions en matière de harcèlement au travail. Qu’il soit moral, institutionnel, d’ambiance ou sexuel, le harcèlement est au cœur de l’actualité et les juridictions n’ont de cesse de rappeler les obligations mises à la charge des employeurs en la matière1.
Au-delà de l’arrêt phare du 21 janvier 20252 rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation consacrant la notion de harcèlement moral institutionnel, l’actualité juridique a apporté plusieurs éclairages sur l’obligation de sécurité pensant sur les entreprises.
Obligation de sécurité : le salarié n’a pas besoin de qualifier de « harcèlement » les faits dénoncés
Dans un arrêt du 8 janvier 2025, la Cour de cassation a rappelé que l’obligation de prévention des faits de harcèlement pesant sur l’employeur est indépendante de la qualification des faits par le salarié victime des agissements3.
Ainsi, alors que pour exclure la responsabilité de l’employeur, la cour d’appel a retenu que le salarié n'avait pas qualifié les faits dénoncés de harcèlement moral, la Cour de cassation rappelle qu’il n’est pas nécessaire que le salarié qualifie expressément les faits de « harcèlement » lors de leur dénonciation pour que l’employeur soit tenu à son obligation de sécurité.
Cette position, conforme au revirement opéré par la Cour de cassation le 19 avril 20234, empêche désormais les employeurs de se retrancher derrière l’absence de qualification des faits de « harcèlement » pour s’exonérer de leur responsabilité.
Portée de l’obligation de sécurité : pas de réintégration automatique du salarié protégé suspecté de harcèlement sexuel
Dans un second arrêt du 8 janvier 2025, la Cour de cassation s’est prononcée sur la portée de l’obligation de sécurité5.
En l’espèce, un salarié, délégué syndical, était accusé d’avoir eu un comportement particulièrement déplacé (avances et gestes indécents à connotation sexuelle, attitudes insistantes et contacts physiques non recherchés tels que des baisers proches des lèvres et des caresses dans le dos) à l’égard de l’une de ses collèges. L’employeur a saisi l’inspection du travail d’une demande d’autorisation de licenciement qui a été rejetée. En dépit de cette décision, l’employeur a refusé de réintégrer le salarié en question qui a pris acte de la rupture de son contrat de travail et saisi la juridiction prud’homale pour obtenir le paiement de diverses sommes.
Dans cette situation, l’employeur était face à un dilemme : procéder à la réintégration du salarié, comme la loi le prévoit aux termes de l’article L.2411-1 du code du travail, ou satisfaire à son obligation de sécurité l’obligeant à prévenir et faire cesser les faits de harcèlement sexuel conformément aux dispositions de l’article L.1153-5 du code du travail ?
La cour d’appel a considéré que la situation ne revêtait pas les caractéristiques d'une cause étrangère ayant empêché de manière absolue l'employeur de réintégrer le salarié et que, dès lors, l'absence de réintégration de ce dernier en dépit de la décision de l'inspecteur du travail constituait une violation du statut protecteur attaché au mandat de délégué syndical.
La Cour de cassation, en revanche, affirme que la cour d’appel aurait dû « rechercher si l’impossibilité de réintégrer le salarié ne résultait pas d’un risque de harcèlement sexuel que l’employeur était tenu de prévenir ». La réintégration du salarié mis en cause n’est donc pas automatique et l’employeur doit prendre ses responsabilités pour écarter et prévenir toute situation de harcèlement.
Obligation de sécurité et mise en place d’une enquête interne, publication des recommandations de la Défenseure des droits
Dans une décision-cadre du 5 février 2025 , la Défenseure des droits, Claire Hédon, publie un guide de bonnes pratiques et recommandations à destination des employeurs afin de les aider à réagir au mieux en cas de signalement d’actes de harcèlement ou de discrimination.
Ces recommandations visent en particulier à aiguiller les employeurs dans la mise en place de leurs dispositifs de signalement et d’enquête interne.
Ainsi, la Défenseure des droits rappelle les principales étapes à garder en tête :
- mettre en place et faire connaitre les dispositifs d’écoute et de recueil du signalement ;
- réagir et protéger les salariés (prise en compte de l’état de santé des salariés et préservation de la sécurité des victimes présumées) ;
- mettre en place l’enquête interne en respectant les principes de confidentialité et d’impartialité ;
- qualifier les faits et les sanctionner.
La publication de cette décision-cadre vient confirmer l’importance des sujets liés à la préservation de la santé et de la sécurité des salariés. Les entreprises n’ont plus d’autre choix que de se saisir pleinement et activement de ces problématiques.