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Vidéosurveillance des salariés: la Cour Européenne des Droits de l’Homme prend position

Date: 23 décembre 2019
Alerte Droit Social

La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a rendu le 17 octobre dernier un arrêt validant la vidéosurveillance de caissières de supermarché sans information préalable des salariées concernées.

Dans cette affaire, un employeur espagnol, directeur de supermarché, suspectant des vols au sein du supermarché, a décidé d’installer deux types de caméras de surveillance dans le magasin : des caméras visibles orientées vers les entrées et sorties du supermarché dont il avait informé le personnel, des caméras dissimulées orientées vers les caisses dont l’existence n’avait pas été révélée aux salariés et représentants du personnel.

Les caméras dissimulées ont révélé des vols de produits aux caisses commis par plusieurs employés ; les salariés concernés ont été licenciés. Une partie d’entre eux a saisi la juridiction prud’homale espagnole soutenant notamment que le recours à la vidéosurveillance à leur insu constituait une violation de leur droit à la protection de la vie privée et que de telles preuves ne pouvaient être admises dans le cadre de la procédure de licenciement.

À l’instar du droit français, le droit espagnol imposait au responsable d’un système de vidéosurveillance d’informer au préalable les salariés concernés de l’existence, de la finalité et des modalités de la collecte et du traitement de leurs données personnelles.

Les juridictions espagnoles ayant validé les licenciements, l’affaire a été portée devant la CEDH qui s’est prononcée une première fois le 9 janvier 2018, concluant à la violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, relatif au droit au respect de la vie privée, avant d’être renvoyée en Grande Chambre.

La question qui se posait était celle de la proportionnalité et de l’équilibre entre les intérêts en jeu justifiant la mise en place du système de vidéosurveillance (à savoir le droit pour l’employeur d’assurer la protection de ses biens et le bon fonctionnement de son entreprise) et les droits des salariés concernés au respect de leur vie privée.

En pratique, les juges de la CEDH indiquent que « les juridictions internes doivent s’assurer que la mise en place par un employeur de mesures de surveillance portant atteinte au droit au respect de la vie privée ou de la correspondance des employés est proportionnée et s’accompagne de garanties adéquates et suffisantes contre les abus », renvoyant à sa jurisprudence antérieure [1].

La CEDH considère que pour s’assurer de la proportionnalité de mesures de vidéosurveillance sur le lieu de travail, les juridictions nationales devraient tenir compte des facteurs suivants lorsqu’elles procèdent à la mise en balance des intérêts en présence :

  1. le salarié a-t-il été informé de la possibilité de faire l’objet d’une mesure de vidéosurveillance ?
  2. quelle est l’ampleur de la vidéosurveillance et quel est le degré d’intrusion dans la vie privée du salarié ?
  3. le recours à la vidéosurveillance a-t-il été justifié par l’employeur par des motifs légitimes ?
  4. existait-il un système alternatif de surveillance reposant sur des moyens et mesures moins intrusif ?
  5. quelles ont été les conséquences de la surveillance pour le salarié qui en a fait l’objet ?
  6. le salarié concerné par la mesure de vidéosurveillance s’est-il vu offrir des garanties adéquates ?

Ainsi, l’information donnée aux salariés n’est qu’un des critères à prendre en compte dans la balance des intérêts en présence.

En l’espèce, la CEDH a validé l’examen de proportionnalité de la mesure de vidéosurveillance retenant qu’en dépit de l’absence d’information préalable des salariés concernés par la vidéosurveillance et des conséquences importantes qui en ont découlé, la vidéosurveillance était (i) justifiée par des soupçons de vols, (ii) limitée dans l’espace (quelques caisses) et (iii) limitée dans le temps (10 jours). La Cour retient également que très peu de personnes ont visionné les enregistrements et conclut que le degré d’intrusion dans la vie privée des salariés ne revêtait pas un degré élevé.

La Grande chambre de la CEDH a ainsi conclu à l’absence d’atteinte au droit au respect de la vie privée des salariés.

Si cet arrêt ne concerne pas directement la France, il reste particulièrement intéressant car la loi Informatique et libertés, le règlement général sur la protection des données tout comme le code du travail prévoient:

  • que les moyens de contrôle utilisés par l'employeur ne doivent pas apporter aux droits et libertés des salariés des restrictions non proportionnées ni justifiées par la nature de la tâche à accomplir (article L. 1121-1 du code du travail) ;
  • l’information préalable des personnes concernées et des représentants du personnel en cas de recours à un système de vidéosurveillance (article L. 1222-4 du code du travail).

En l’état de la jurisprudence, sont considérés comme illicites les procédés mis en œuvre sans respect de ces obligations. Les éléments ainsi recueillis ne peuvent servir de preuve des fautes commises par un salarié [2].

L’arrêt de la CEDH semble ouvrir une brèche dans la jurisprudence française. Là où le juge français voit dans l’absence d’information préalable des salariés un obstacle infranchissable, le juge européen considère qu’il s’agit d’un des critères à prendre en compte pour juger de la proportionnalité de l’atteinte faite à la vie privée du salarié.

On peut donc s’interroger sur la portée de l’arrêt de la CEDH en droit interne et son éventuelle transposition par les juridictions françaises.


NOTES

[1] CEDH, arrêt, Grande chambre, 5 septembre 2017, n°641996/08, Bărbulescu c. Roumanie; CEDH, décision, 5 octobre 2010, 420/07, Köpke c. Allemagne

[2] Voir Cour de cassation, ch. Soc. 7 juin 2006, n°04-43866 ; Cour de cassation, ch. Soc. 20 septembre 2018, n°16-26482

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